Il s'agit bien de la Caisse Municipale !
Elle est décrite dans un article de 2011
Et voici qu'un "Cossâ" nous propose un texte savoureux qui date de 1900 et qui l'évoque.
Benoit Guillaume a déniché un article sur le site "Mémoire vive" des bibliothèques de Besançon.
Il s'agit de la revue "Les Gaudes" n° 377 du 16 juillet 1900. L'article est signé "Videns".
Il ne désigne pas Voillans directement puisque le texte mentionne "en arrivant à V...."
mais son sous- titre "Instantané des dernières élections au pays des Cossâs"
fait évidemment référence, selon Benoit, à son village natal :
mais son sous- titre "Instantané des dernières élections au pays des Cossâs"
fait évidemment référence, selon Benoit, à son village natal :
"Il n’y a aucun doute, il s’agit bien de Voillans …
Cela m’a bien fait sourire et je me permets de partager avec vous … si vous ne le connaissez déjà…
Bonne année aux Cossâs donc."
Merci infiniment Benoit pour cette trouvaille passionnante sur laquelle nous reviendrons avec toi car il y a bien des commentaires à ajouter.
(le texte original peut se lire avec le lien suivant : :http://memoirevive.besancon.fr/ark:/48565/1547881658ZhJMD6/1/10)
BONNE LECTURE
AUX CHAMPS
LA CAISSE MUNICIPALE
Instantané des dernières élections au pays des Cossâs.
« Avis !!! On fait assavoir aux électeurs nationalistes et progressistes de se réunir en la salle de la mairie pour trinquer à la santé des élus de dimanche dernier et boire avec eusses le vin du combat, de la victoire et de la fraternité. Chacun est prié d’apporter son verre. »
Telle fut la toute patriotique annonce faite à son de caisse que j’entendis le dimanche 13 mai dernier, en arrivant à V…., village encaissé dans les premiers contre-forts des montagnes du Doubs, limitrophes de la Hte-Saône ; je m’y rendais pour passer la soirée chez un de mes bons amis, bisontin de naissance et de coeur. Tout d’abord étonné de cette annonce, je me disais en moi-même que dans nos campagnes la lutte politique est actuellement bien dessinée et qu’elle se livre sur le vaste champ du patriotisme, limité pour quelques-uns peut être par des questions d’intérêts, d’ambition, de jalousie ou de rivalité de famille.
Je fus tiré de cette préoccupation par l’air heureux de l’homme à la caisse. Flageolant sur ses jambes quoique dans la force de l’âge, il s’escrimait avec une joie visible sur la peau d’âne municipale ; sa voix était celle des grands jours et son annonce devait être certainement supérieure en sonorité aux annonces prévenant le public de l’arrivée du percepteur, du notaire ou d’un grand déballage parisien quelconque. Fier de la forme de son « Avis », la brave garde-champêtre était visiblement heureux et fermait sa tirade par un ban tout ronflant et un demi sourire goguenard, esquissé sous ses moustaches, qui indiquait à l’assistance son triomphe et sa malice.
J’allais quitter le théâtre de cette curieuse scènette et reprendre ma marche quand j’aperçus mon ami rentrant dans sa gaine son appareil à instantanés.
- Tiens, lui dis-je, tu as eu une bonne idée. Ton champêtre a une vraie tête à pochade, il est à croquer ! »
- « C’est ce que je viens de faire. Il sera parfait en projection, et l’hiver prochain en petit Comité nous reverrons avec plaisir ces scènes pittoresques de la vie de nos campagnes. »
- Puis tout en nous informant mutuellement de nos santés, et des nouvelles de nos intimes, Pierrot, Séquanio et du bon Delamotte, sans oublier la patronne, nous arrivions au gîte hospitalier
sis juste en face de la mairie et d’où nous fumes témoins de l’étonnant spectacle que voici :
- Dans le lointain c’était encore le même roulement de caisse, la même voix sonore la même annonce faisant sortir les amis, et rentrer piteusement les adversaires, dont l’un ne peut s’empêcher de crier de sa voix quelque peu auvergnate : « Vive la chochiale ! »
Peu à peu les abords de la maison commune commencent à se garnir. Les électeurs répondaient à l’appel, et tout en devisant gravement, les mains derrière le dos, la pipe ou la cigarette à la bouche, le verre dans la poche, se rendaient à ces agapes vraiment originales. Chacun des élus portait sous le bras une bonne grosses miche de pain tout enfariné. C’était pour faire descendre les douze livres de fromage et les 128 litres de vin, que par reconnaissance ils avaient achetés en se misant pour régaler leurs électeurs. Seul l’un d’entre eux pour ne pas déplaire aux autres, et au sénateur, afin de ménager la chèvre et le chou, avait prétexté certain voyage pour ne pas faire comme ses neuf collègues. - «C’est encore cent sous qu’il gagne, dit un malin, en apprenant cette défection. » Bref, la petite salle de la Mairie était transformée en salle de festin. Des tables de différente hauteur , apportées aussi de chez eux par les organisateurs de la fête, étaient garnies de litres, de morceaux de gruyère dans des plats ébréchés et de corbeilles de bon pain frais. Le drapeau tricolore était épinglé majestueusement contre une parois et la fameuse feuillette, qui allait se vider plus vite qu’une querelle, était dissimulée dans un coin sous l’escalier, confiée à la garde d’un des élus nommé grand échanson pour la circonstance. Et ce n’était pas une mince besogne, le robinet fut sans cesse en mouvement : il eut fort à faire, le bon Joseph, car si la lutte électorale avait été chaude, non moins chaude était la journée du 13 mai. Un soleil de plomb, 38 gosiers desséchés, bien en pente et bien renommés, de vrais tonneaux des Danaïdes.
Tout alla bien au commencement malgré l’arrivée inattendue et des plus empressées de quelques électeurs qui certainement n’avaient pas voté pour le parti regalant. Le curé lui-même invité gracieusement vint un instant fraterniser avec ses braves paroissiens et choquer son verre avec eux. « Hé, conscrit ! à votre santé, la classe ! « lui fit l’un, quelque peu allumé mais surtout très honoré d’avoir vu le jour en la même année que son pasteur. A son départ la conversation devint plus animée, la température des têtes et de la salle croissant progressivement dans une atmosphère de fumée et d’odeurs très variées.
« Vive Chiquefort ! » s’écrie-t-on tout à coup ! C’est le brave champêtre à qui l’on fait une chaude ovation. - « Eh bien ! t’en voilà encore pour quatre ans. C’était bien fini de toi et de ta caisse si ils étaient arrivés, les autres ; allons, viens, flanque-toi ici ! » On parle politique, les discussions commencent, on chuchote contre les soi-disant faux frères, les intrus qui viennent se désaltérer aux frais de leurs adversaires, on s’interpelle, on accuse. Le baromètre de la fraternité n’est plus au beau fixe, il semble indiquer le tempête. Elle n’éclate pas cependant. On boit toujours sec, et comme le bon vin réjouit le coeur de l’homme, chacun se met à chanter la sienne en même temps ; on écarte les tables et au son de l’harmonica de Laclasse les plus intrépides se mettent à danser entre eux, au grand risque de la lampe accrochée au plafond trop bas, et sans cesse heurtée par la tête d’un danseur emêché. C’est un tapage infernal de jurons, de cris, de chants, d’harmonica qu’accompagnent les battements rythmés des talons sur le plancher branlant. Cette bruyante sarabande altère davantage : on boit, no boit toujours. les uns couchés sur les tables dorment déjà profondément, le verre à demi-plein devant eux, la tête cachée dans les bras. Complètement étrangers à ces bruits de la terre, ils semblent partis au paradis des ivrognes. « C’est le moment propice d’opérer, se dit un roublard, qui très content d’avoir bu, voulait mettre le comble à sa joie en trinquant avec une payse.
Quand on a bon coeur,
On pense à sa soeur,
dit la chanson et c’est ce qu’il se pensa également. Et tout en faisant semblant d’aller prendre l’air,
il escamottait quelques fioles du vin électoral, vite porté dans la maison voisine.
On s’en aperçoit ; la danse cesse, la discussion reprend, les coups de poing vont tomber comme grêle, on s’attrape au collet. Attirées par le bruit, les femmes viennent chercher leurs maris, leurs frères.
« Guiaude, veni vous en. » - « Pompie ! veute vous r’veni. » - « Attends vouère, Babert, y va te cri ! » Mais ni Guiaude, ni le pompie, ni les autres ne bougent. La voix de leurs sirènes ne les attire point et leurs fioles n’ont point l’attrait de celles qui sont encore sur les tables jonchées de débris de pain, de croûtes de fromage, de verres répandus ou cassés.
Le combat cessa faute… de vin dans la feuillette et de pétrole dans le quinquet municipal. Chacun « était bien ». Les 128 litres avaient coulé dans 38 gosiers. La vue était un peu trouble au milieu du crépuscule mais il fallait mieux déménager. Les uns prennent la fenêtre pour la porte, les
carreaux volent en éclats ; d’autres oubliant dans la nuit que depuis longtemps les escaliers sont veufs de garde-fou, font pêle-mêle les uns sur les autres un vaste plongeon dans le vide, pour s’abattre dans les flaques d’eau car le temps s’est couvert et la pluie tombent à torrents. Les plus vaillants bravent la tempête et s’enfoncent dans les ténèbres en lançant aux échos de toutes les rues leurs vieilles rengaines de conscrits. Puis on voit des ombres chancelantes, trébuchantes, l’homme à la caisse qui en ce moment en a une trop forte et qu’on emporte, des femmes qui essaient d’entrainer leurs maris que la proximité de l’auberge semble encore tenter. On entend la pluie, les jurons de ceux qui dans leur chute ont perdu leur chapeau, leur bouffarde ou leurs sabots.
Bras dessus, bras dessous, les élus sachant que l’union fait la force, et l’oignon la farce s’en vont gaîment manger une soupe au fromage et recommencer un nouveau repas qui ne prit fin qu’avec l’aurore.
Bref, je ne pus m’empêcher de dire à mon ami : « Tu as des gens de grande capacité dans ton patelin. Si seulement tu avais pu faire un cliché de la Caisse municipale ! »
VIDENS