"Merci de ta carte. Je suis heureux de te savoir à l'abri et tranquille, moi qui ai repris la vie aventureuse du poilu des tranchées de première ligne. Dès ma rentrée, j'ai failli y laisser ma peau, le premier soir d'abord, où une rafale de mitrailleuse m'a copieusement arrosé, et, le 18, ensuite, lors d'une attaque où j'ai vu tomber, tués à mes côtés, huit de mes meilleurs soldats dont un adjudant et deux sergents et douze poilus blessés. Je garderai longtemps sous mes yeux le souvenir de cette vision tragique, un champ de bataille ravagé de coups de canon sur lequel se couche le soleil rouge : un cirque de sang. Crois bien, cher vieux, que j'ai gardé dans cette occasion tout le sang-froid et toute l'énergie que tu me connais ; mes hommes d'ailleurs ont été admirables. Quelle belle race, et j'étais fier et content de marcher à la tête de tels bougres. Ca va toujours très bien, à tous points de vue, c'est seulement un peu long. Au revoir, cher vieux, écris-moi plus longuement si tu disposes de quelques loisirs."
Il écrit le même jours à son épouse :
Hier je n'ai pu t'envoyer qu'une toute petite carte. J'étais dans la tranchée P 3 à 200 mètres des Boches qui, d'ailleurs, à part quelques obus, nous ont fichu la paix. Il a plu, mais je me suis tenu à l'abri et si j'ai eu un tout petit peu froid aux pieds ce n'est rien en comparaison de cet hiver.
Nous avons été relevés de bonne heure, vers 8 h. 1/2 du soir, et nous sommes venus nous installer dans notre cave, une cave très bien où nous avons un poêle, deux sommiers avec des matelas et des édredons où nous avons reposé le mieux du monde jusqu'à onze heures du matin. Il y a une pompe et un puits dans la maison, ce qui nous a permis de faire un brin de toilette complète."
* Edmond Rocher (1873-1948). Romancier, Poète et littérateur.