"Une escouade doit rester dans le boyau avec un sergent et c'est moi - je case comme je peux mes malheureux poilus transis, navrés, pour qu'ils ne soient pas visibles des Boches et je rentre sous l'abri humide où j'essaie vainement de dormir - engourdissement - je pense longuement et avec émotion à ma bien chère petite gosse, à notre chez nous, à ce bon petit nid où nous avons été si heureux - et pas moyen de sortir, de se lever - les balles sifflent - chaque jour il y en a là qui sont blessés. De mon trou je supplie mes poilus de ne pas se montrer - pas de malheur heureusement - au soir enfin, après avoir mangé un peu de pain avec du saucisson et du chocolat, je sors de mon trou et je bats la semelle dans l'eau de la tranchée jusqu'à l'heure de la relève. cet animal de Drouin, bavard comme une pie, nous retarde parce que son petit poste au moment de la relève fait la causette avec la 6e. Enfin on se rassemble. Ce c... de Mathieu trouve le moyen de dégringoler dans le boyau d'où on le déterre couvert de boue. Nous cantonnons à Pintheville dans une cave abondamment pourvue de paille. J'ai toujours les pieds mouillés, mais je n'ai plus froid. Après avoir décrotté mes souliers, mangé un riz au chocolat préparé par Billet - je me couche les jambes dans la paille et dors sans souffrir du froid. Lettre d'Hennique * qui a fait des démarches pour moi."
* Léon Hennique (1851-1935) : président de l'Académie Goncourt qui a toujours soutenu Pergaud.