"Ces pauvres villages de la Meuse offrent un aspect lamentable : presque tous les habitants ont fui devant l'invasion, abandonnant leurs maisons qui sont occupées, d'une part, par nous, et, d'autre part, par les Boches.
Tout est dévasté, les armoires ouvertes, éventrées, pillées, les meubles en morceaux, fracassés par les obus, réduits en bois de chauffage nécessaire pour faire cuire la nourriture. C'est désolant. Dans ce désordre circulent quelques hommes, et quelques femmes, témoins impuissants de la ruine générale. Manheulles a encore quelques habitants, mais Fresnes presque plus. Riaville et Pintheville sont tout à fait abandonnés. Fresnes surtout, qui devait être avant la campagne une charmante petite ville élégante et coquette, n'est plus guère qu'un amas de ruines. Les quelques maisons, qui n'ont pas été brûlées ou éventrées totalement par les obus, servent de cantonnement aux troupes mises en réserve.
Seule, au milieu de la place, la statue de bronze du général Margueritte se dresse encore sur son piédestal devant l'Hôtel de Ville incendié. Dieu sait pourtant s'ils ont envoyé des obus sur ce but qui les nargue. A ce propos, tâche donc de me retrouver l'adresse de Paul Margueritte, je lui enverrai un mot pour lui conter la chose 1 ; cela lui ferait plaisir. Rosny aîné m'a envoyé un mot hier, pour me féliciter au sujet de l'entrefilet de l'Intransigeant 2. Bien du bruit pour peu de choses, en somme. J'ai fait mon devoir en un moment pénible, et c'est tout ... Comme d'habitude, souhaite pour moi, à tous mes amis, tous les bonheurs possibles. Dis-leur que je les remercie de leurs voeux, et que je les embrasse tous cordialement. De temps en temps, quand j'aurai un moment, je leur enverrai un mot."
1 La lettre de Louis Pergaud à Paul Margueritte est citée, en partie, dans l'ouvrage d'Êve et Lucie Paul-Margueritte
2 L'Intransigeant du 10 novembre 1914 relatait ceci :
"Le sergent Louis Pergaud, l'auteur de "La Guerre des Boutons", s'est trouvé dans une tranchée, au milieu d'une très violente affaire. Ses officiers tués, il a pris le commandement de sa section qu'il a pu ramener."