"Je crois que le service postal va être modifié légèrement et il pourra se faire que tu sois quatre jours sans rien recevoir. Ne t'effraie pas. J'imagine, étant donnés les positions occupées et le dispositif de nos tranchées que jusqu'à l'assaut final qui n'a pas l'air d'être proche nous aurons plus à craindre les morsures de la bise et les baisers de la pluie que les balles.
Il a fait ces jours derniers un temps affreux. Je ne sais si je t'ai raconté, après la journée de mercredi, et l'attaque boche, notre retour sous la pluie et le vent. C'était quelque chose de tragique et de grand ; les rafales de pluie nous fouettaient la face, des arbres renversés par les obus ou par l'ouragan barraient le chemin, et la colonne, à chaque instant, était obligée de s'arrêter et de reprendre. Ce ne fut qu'à une heure du matin qu'on arriva à Fresnes où l'on dormit dans une grange au toit éventré à demi, sous la pluie.
Au petit jour le réveil fut triste, mais une heure après, nous étant réchauffés et séchés au feu des cuisines, on n'y pensait déjà plus, et tandis que les uns écrivaient, d'autres chantaient ou fredonnaient. C'est ainsi presque tous les jours. Dès que le moment dur est passé, on oublie et l'on s'égaie ...
... Cette pauvre ville de Fresnes est absolument fichue. Ce qui reste dans les boutiques et les appartements est à peu près pillé par les hommes qui emportent, d'ici un linge, de là, un morceau de laine pour se tailler un vêtement, ou n'importe quoi. Il y a des brutes partout qui détruisent pour détruire.
Dans le château pourtant (où nous avons mangé avant-hier), rien n'était pillé, mais on s'étalait dans les fauteuils et les divans et, en prenant le café, on fit même un brin de musique. Le ronflement des obus nous accompagnait dehors. Les fenêtres étaient closes ou plutôt les volets, car les fenêtres n'existaient plus et, à la lueur fumeuse d'une bougie, l'effet était impressionnant."