"Nous reprenons nos emplacements de combat, mais dès 5 h l'artillerie des Boches nous envoie des obus. Nous sommes à peu près à 500 m d'eux. On entend dans le matin pur, sous le soleil qui se lève radieux, les commandements gutturaux. Des rafales nous pleuvent dessus sans discontinuer. Nous sommes abrités dans un petit bois de saules dont les branches craquent, mais en vérité, personne ne songe à avoir peur, c'est à peine si quelques-uns mettent la tête derrière le sac. Un caporal est blessé au talon, il n'est pas de notre section ; mais à 8 h mon caporal de la 3e escouade, ce brave Hue, parti en patrouille, revient avec une balle dans la joue au-dessous de l'oeil droit dont il ne voit plus - notre sollicitude - oh ! ce n'est rien, dit-il, et seul il se rend dans Fresne bombardé pour se faire panser.
Petite femme chérie, j'ai bien pensé à toi hier et cette nuit et ce matin, je n'ai pas le temps de t'écrire et cependant si je dois rester sur le champ de bataille où ça chauffera dur, je tiens à ce que tu saches que tout ce que j'ai de meilleur dans le coeur est monté vers toi à cette heure grave. Je souhaiterais que tu n'eusses pas plus peur que je n'ai. Je griffonne ceci sous la volée des obus et je ne lève même pas le nez pour voir où ils éclateront, il est vrai qu'au sifflement particulier de chacun on devine tout de suite s'il sera pour soi ou pour les camarades d'avant ou pour ceux d'arrière. Ca continue, je lâche le crayon pour le flingot et Vive la France !"